Passant d’une banque généraliste à une banque réservée aux entrepreneurs et aux professions libérales
Carlo Henriksen et Dirk Wouters, respectivement précédent CEO et CEO actuel de la Banque Van Breda, se rencontrent environ trois fois par an. Ils en profitent pour se remémorer le passé ou discuter de l’évolution de l’entreprise qui leur tient tant à cœur. C’est dans ce contexte que nous avons eu le plaisir de les rejoindre. Notre entretien porte sur la transition de la Banque Van Breda, il y a 35 ans, d’une clientèle de particuliers à une clientèle exclusivement composée d’entrepreneurs et de professions libérales. Pourquoi ce choix audacieux ? Et quel en a été l’impact sur les clients et les employés ? Une conversation passionnante en perspective !
Tous deux fils d’entrepreneurs, ils étaient destinés à perpétuer l’héritage familial. Bien que la Banque Van Breda ait initialement été un plan B, le destin en a décidé autrement…
Carlo Henriksen : « Je voyais la banque comme une sorte de formation continue parce que je ne voulais pas commencer immédiatement après mes études en tant que “fils de” dans l’entreprise maritime de mon père. Pour moi, il s’agissait d’une bonne base pour faire la transition plus tard tout en étant doté d’une expérience supplémentaire. Du moins, c’était mon intention. Cette transition n’a finalement pas eu lieu. J’ai commencé en 1978 au département des crédits documentaires et des paiements internationaux et j’ai terminé en tant que CEO. »
Dirk Wouters : « Étant donné les circonstances de l’époque, j’ai rejoint l’entreprise familiale immédiatement après mon service militaire, même si ce n’était pas mon plan de départ. J’y ai énormément appris, jusqu’au jour où ma mère m’a demandé si c’était vraiment ce que je voulais. Elle m’a alors ouvert les yeux. Je suivais déjà des cours du soir en fiscalité et j’étais passionné par les finances. Après une candidature spontanée, j’ai pu commencer à travailler à la Banque Van Breda. »
Les débuts d’une carrière que tous deux ne regretteront jamais. En effet, la Banque Van Breda est devenue bien plus qu’un simple lieu de travail pour eux ; elle est devenue leur passion. Carlo Henriksen a été CEO pendant 25 ans, jusqu’à ce que Dirk Wouters reprenne le flambeau en 2014.
Carlo, comment la banque se positionnait-elle à vos débuts ?
Carlo Henriksen : « La Banque Van Breda était une petite banque d’épargne locale spécialisée dans le leasing de matériel d’entreprise et le financement de voitures. 80 à 90 % de nos clients étaient des particuliers, avec un petit noyau d’entrepreneurs dans notre département International. Dans ce département, quelques “prospecteurs” ciblaient déjà les entrepreneurs familiaux. Il y avait quelqu’un qui prospectait spécifiquement dans les secteurs d’activité. Par exemple, le premier grossiste en fromage lui a expliqué en détail la technique de l’affinage du fromage. Ensuite, il a utilisé ces connaissances pour approcher un autre grossiste du secteur. Rapidement, il a été considéré comme “le spécialiste de”. Sa connaissance du fromage lui a permis d’accéder à de plus en plus de grossistes en fromage. La même chose s’est produite pour d’autres secteurs, comme le commerce de gros de poisson. À terme, cela est devenu un département rentable, même si personne à la banque ne s’en souciait pas vraiment à l’époque. Nous avions également une bonne relation avec la KAVA, l’Association Royale des Pharmaciens d’Anvers. Le groupe Van Breda aspirait alors à être un “guichet unique”. Nous étions une banque, un courtier en assurances, une fiduciaire et un secrétariat social. Pour être un secrétariat social, il fallait avoir un lien avec un patronat. D’où notre relation avec la KAVA. Par conséquent, nous avions également quelques pharmaciens comme clients. Mais le nombre d’indépendants se limitait alors encore à 20 % de notre clientèle. Un petit groupe donc. »
En quoi la profession de banquier était-elle différente à l’époque ?
Carlo Henriksen : « Être banquier était alors encore une profession noble. En tant que directeur de banque, vous faisiez partie des notables du village, aux côtés du maire, du médecin, du notaire et du curé. Nous étions alors une banque de produits qui attirait l’épargne excédentaire pour financer les leasings et les financements automobiles. Mais aussi simple que soit le métier de banquier à l’époque, il assurait une croissance constante d’environ 11 % par an.
Je me souviens encore que nous offrions alors un taux d’intérêt de 9 % sur les livrets d’épargne. C’était notre premier grand atout. En outre, nous offrions à nos entrepreneurs et pharmaciens des valeurs journalières. Aujourd’hui, si vous transférez un montant sur un compte, il est presque immédiatement crédité. Ce n’était pas le cas à l’époque. Parfois, il y avait un délai de deux jours. En conséquence, vous deviez payer des intérêts débiteurs si votre compte était à zéro et que vous vouliez transférer un montant que vous aviez déposé le même jour. Nous étions la seule banque en Belgique à aborder cela différemment. Nous faisions de la prospection avec des valeurs journalières. C’était un avantage considérable pour le petit groupe d’entrepreneurs qui étaient alors nos clients. »
Dirk Wouters : « Nous veillions également à ce que de nombreux grossistes en produits pharmaceutiques aient un compte à la Banque Van Breda, ainsi que les services de tarification dont les pharmaciens recevaient leurs crédits INAMI. Nous avions ainsi créé un circuit de paiement dans lequel tout était réglé dans la journée, sans perte pour aucune des parties. À l’ère des paiements instantanés, cela semble être une évidence. Mais à l’époque, cela nous permettait vraiment de nous démarquer. »
Dirk, pourriez-vous décrire le métier de banquier aujourd’hui ? Quelles sont les grandes différences par rapport à avant ?
Dirk Wouters : « Certaines choses sont restées exactement les mêmes au fil des ans. Le rôle sociétal du secteur bancaire, par exemple : des transactions efficaces et sécurisées, le financement de l’économie et des projets familiaux, un refuge sûr pour l’épargne et le patrimoine pour lequel les gens travaillent dur, la gestion de ce patrimoine en bon père de famille… En revanche, la manière dont les paiements étaient effectués n’est plus comparable. Il n’y avait pas encore d’internet et donc pas de paiements en ligne. Il était alors impensable de pouvoir suivre chaque transaction bancaire sur son smartphone. Les clients venaient chercher leurs relevés de compte une fois par semaine en agence. L’expérience client était donc totalement différente de celle d’aujourd’hui.
Le besoin et la nécessité d’être accompagné pour prendre certaines décisions financières importantes et d’avoir un interlocuteur ont toujours existé. Le secteur, et en particulier la Banque Van Breda, ont connu une évolution gigantesque à cet égard pour offrir une valeur ajoutée. C’est, selon moi, le plus grand changement. »
Au début des années 80, la Banque Van Breda comptait parmi sa clientèle un petit groupe composé d’entrepreneurs et de pharmaciens. En 1989, il a été décidé de se concentrer uniquement sur les entrepreneurs et les professions libérales. Comment est née l’idée de ce virage soudain ?
Carlo Henriksen : « Il y a bien évidemment un long processus mûrement réfléchi derrière. Dans les années 80, les premières grandes fusions bancaires ont eu lieu dans le contexte du marché unique européen. Pour la Banque Van Breda, cela a été l’occasion de revoir sa stratégie. Nous avons réalisé que, en tant que petite banque, nous devions nous distinguer pour ne pas être absorbés ou éclipsés. Nous avons donc pris les choses en main. J’ai eu l’opportunité de mener une réflexion sur les moyens de différencier la Banque Van Breda de ses concurrents et de préserver son indépendance. Finalement, nous avons décidé de nous concentrer sur une seule cible : les entrepreneurs et les professions libérales. En partie parce que j’étais à l’origine de cette réorientation stratégique, les actionnaires m’ont nommé directeur général en 1989. Ma grande mission était de déployer la stratégie de niche. Désormais, nous allions nous concentrer sur un cinquième de nos clients. Ce n’était effectivement pas évident. L’organisation interne devait être entièrement repensée. Comment allions-nous procéder ? Quelles compétences étaient nécessaires ? Comment réorganiser nos départements ? Nous avons eu la chance incroyable que nos actionnaires familiaux se soient montrés extrêmement patients. Nous n’étions pas cotés en bourse, donc nous disposions d’une grande marge de manœuvre pour la phase de test. Ce n’est qu’en 1997 que nous étions vraiment prêts pour le grand saut. »
Dirk Wouters : « Je me souviens que nous avons également changé notre slogan à cette époque. Depuis 1989, trois slogans se sont succédé. “Les mains libres pour entreprendre” était le premier. L’idée était claire : en tant qu’entrepreneur, vous excellez dans ce que vous faites. Nous, en tant que banque, créons la tranquillité d’esprit pour que vous puissiez vous concentrer pleinement sur votre activité et nous assurons que vous puissiez vivre sans souci financier. C’est d’ailleurs toujours notre objectif. Je trouve ce slogan très puissant. Mais après sept ans, nous voulions quelque chose de différent. Et puis est venu le slogan “réservée à ceux qui entreprennent”. Heureusement, nous avons rapidement réalisé que ce slogan était trop général. Beaucoup de gens se considèrent comme entreprenants, mais ne sont pas entrepreneurs. Nous l’avons abandonné au bout d’une année. Depuis 1998, notre slogan est “réservée aux entrepreneurs et aux titulaires de professions libérales”. »
Cette décision de se concentrer sur une niche spécifique devait encore être communiquée à l’ensemble des parties prenantes. Comment avez-vous annoncé ce changement à vos équipes ?
Carlo Henriksen : « Un vendredi soir, nous avons organisé une fête d’entreprise pour lancer officiellement notre stratégie de niche. Pendant mon discours, j’ai diffusé les spots radio annonçant notre nouveau slogan “réservée aux entrepreneurs et aux titulaires de professions libérales”. Ces spots devaient être diffusés à la radio dès le lundi suivant. À peine avais-je quitté la scène que des employés de guichet sont venus me voir, hilares : “C’était une blague, Carlo ?”, m’ont-ils demandé. “Nous n’allons pas vraiment faire ça ?”. J’ai acquiescé avec détermination.
Il n’a pas toujours été facile de convaincre les employés de cette nouvelle stratégie. Cela a demandé une bonne dose d’obstination, de discipline et de persévérance. Mais dans ces moments-là, il faut avancer et ne pas douter, même si le turnover dans notre réseau commercial était soudainement plus important que d’habitude. Parce qu’ils n’y croyaient pas ou ne voulaient pas dire adieu à leurs clients. Nous avons également connu des départs au niveau de la direction. Avec du recul, c’était finalement une bonne chose que les sceptiques aient rapidement fait leur choix. Cela a sans doute accéléré le processus. »
Comment les clients particuliers ont-ils réagi à la nouvelle bifurcation de stratégie ?
Dirk Wouters : « Les employés qui sont restés ont reçu pour instruction de trouver une banque locale susceptible d’accueillir nos clients particuliers. Nous ne les avons pas laissés tomber. Nous avons cherché une banque capable de leur offrir les mêmes services de qualité. Nous avons eu beaucoup de conversations personnelles à l’époque parce que nous voulions expliquer en face à face à nos clients pourquoi nous avions choisi une cible spécifique à laquelle ils n’appartenaient pas. Nous étions déjà en pleine croissance dans le secteur médical, ce qui nous permettait de faire facilement la comparaison : soit vous êtes généraliste, soit vous êtes spécialiste. L’époque où les généralistes assistaient aux accouchements ou arrachaient des dents était révolue. Si vous attrapez une angine, vous n’allez pas chez le cardiologue. Nous avons clairement montré par la pratique que la spécialisation apporte une valeur ajoutée.
Je n’étais pas encore aux commandes à l’époque, mais j’ai rapidement compris que cette spécialisation nous permettrait de nous différencier par une expérience client exceptionnelle. Nos clients n’ont d’ailleurs pas tardé à nous faire part de leur satisfaction. Ils se sentaient compris. Nous connaissions leur monde, leurs besoins, leurs questions et leurs préoccupations. Cette reconnaissance a été un véritable moteur pour notre culture d’entreprise. Et elle l’est toujours. »
Carlo, après un quart de siècle à la tête de la Banque Van Breda, vous avez transmis le flambeau à Dirk. Quel regard portez-vous sur toutes ces années passées au sein de la banque ?
Carlo Henriksen : « Ce fut une période à la fois belle et intense. Surtout la crise financière de 2008, qui m’a parfois empêché de fermer les yeux, même si la banque n’a pas été directement impactée. Mais après 25 ans, la banque était prête à continuer sans moi. Il faut partir au moment où quelques personnes regrettent encore votre départ et non au moment où tout le monde pense : “Ouf, il est parti”. Je pense avoir choisi le bon moment. Il y avait besoin de renouveau. De plus, je savais que je laissais la banque entre de bonnes mains. »
Carlo parle sans aucun doute de vos mains, Dirk. Comment vous êtes-vous senti en lui succédant ?
Dirk Wouters : « Ce fut d’abord un honneur pour moi. Je me souviens encore que des journalistes me demandaient lors de mes premiers jours en tant que CEO ce que j’allais changer dans l’organisation. “Rien”, répondais-je invariablement. J’étais déjà dans le comité de direction depuis dix ans. Ce que je voulais changer, je l’avais au moins déjà mis sur la table. Quelques idées ont déjà été réalisées entre-temps. La Banque Van Breda était un modèle de réussite. Je voulais continuer à capitaliser là-dessus. La base était et est toujours la juste interaction entre des employés motivés et des clients satisfaits. Quand cela fonctionne bien, les bénéfices et les résultats financiers suivent naturellement. »
Quels sont maintenant les grands défis dans le secteur bancaire auxquels vous ne pouvez pas échapper en tant que CEO ?
Dirk Wouters : « Nous ne pouvons pas non plus ignorer l’impact de la technologie. Il ne fera que croître à l’avenir. Un double impact, j’en suis convaincu. Bien sûr, les possibilités de rendre tout plus efficace et plus facile ne feront qu’augmenter. Mais à mesure que la technologie deviendra plus dominante dans nos vies, notre besoin de connexion humaine augmentera également. Peut-être moins en quantité, mais d’autant plus en qualité.
Prendre des décisions financières semble d’abord être un acte rationnel. Mais les grands moments financiers de notre vie sont indéniablement accompagnés d’émotions. Pensez à l’achat de votre première maison ou de votre résidence secondaire. Ou à la vente de votre entreprise dans laquelle vous avez investi votre cœur et votre âme pendant des années. Ou encore à la planification de votre succession. Dans un contexte où la technologie devient de plus en plus importante dans nos vies, le besoin de connexion humaine et la nécessité d’avoir une personne ou un interlocuteur de confiance augmentent. Cela offre d’énormes opportunités pour l’approche personnalisée comme celle de la Banque Van Breda. Parce que c’est précisément là que nous nous distinguons des autres.
Nous devrons également veiller à ne pas commencer à penser que l’herbe est plus verte ailleurs et à continuer de voir les opportunités qui s’offrent à nous. Cela sera également crucial pour la Banque Van Breda. »
En 2030, la Banque Van Breda célébrera son centenaire. Où pensez-vous que la banque se situera alors ?
Dirk Wouters : « Nous avons fait un bond de 1989 à aujourd’hui au cours de cette conversation. Cela représente 35 années au cours desquelles les choses ont énormément changé. La banque évoluera encore dans les années à venir sur certains aspects. Mais notre ambition principale pour 2030 est de faire découvrir à encore plus d’entrepreneurs et de professions libérales la valeur ajoutée de la Banque Van Breda dans un environnement où le confort numérique, la collaboration efficace, les conseils personnalisés lors des grands moments de la vie et la connaissance du monde et des besoins de nos clients restent centraux. Nous voulons évidemment continuer à croître. Les fonds que les clients nous confient sous forme de dépôts et d’investissements sont passés de 10 à 25 milliards au cours des 10 dernières années. Pour 2030, j’ai en tête un chiffre qui irait bien avec l’année. Si nos clients nous confient 40 milliards en 2030, dont 30 milliards d’investissements, je serai un CEO très heureux. »
Carlo Henriksen : « Une entreprise telle que la Banque Van Breda est vouée à prospérer, j’en suis convaincu. Durant mes 25 années en tant que CEO, la banque a enregistré une croissance annuelle de 11 %. Mon successeur a su maintenir cette remarquable progression. Au cours des dix dernières années, cette croissance a même été légèrement supérieure. C’est fort. Et pour moi, c’est agréable de voir cela se produire depuis la ligne de touche. »
Quand je vous observe tous les deux, je perçois une immense fierté. Est-ce correct ?
Carlo Henriksen : « Certainement. Il existe deux types de CEO ou de managers. Certains souhaitent que l’entreprise décline après leur départ, pour mettre en évidence leur propre valeur. D’autres, en revanche, espèrent que l’entreprise prospérera encore davantage après leur départ. Je fais indéniablement partie de cette seconde catégorie. »
Dirk Wouters : « Je partage entièrement cet avis. À long terme, c’est également mon ambition personnelle : transmettre quelque chose en croissance perpétuelle. »
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