Le monde s’embrase, mais le défaitisme ne nous mènera nulle part. Considérons cette crise mondiale comme une opportunité de changer de perspective et de faire les choses différemment. 

Jonathan Holslag - Politicologue

L’insécurité règne sur notre monde et fait partie de notre réalité. Comment pouvons-nous, en tant que société, nous rendre suffisamment résilients pour maintenir le cap dans ce monde agité ? Nous avons abordé le sujet avec Jonathan Holslag, politologue, spécialisé en politique internationale, Eurasie et politique économique de force.

Jonathan Holslag : « Avant d’aborder la situation géopolitique actuelle, je tiens à préciser que la vie dans cette partie du monde est loin d’être des plus pénibles. Nous vivons dans une société où nous recevons tous et toutes des chances de nous épanouir. Chaque individu compte, même celles et ceux qui proviennent de milieux plus défavorisés ou dont les capacités sont moins prononcées. Nous vivons dans une société humaine et nous devons tout faire pour la préserver.

Mais permettez-moi de citer l’écrivain romain Livius : “Prosperity must never be taken for granted”. C’est dans une période de prospérité que nous devons nous interroger sur sa longévité. La prospérité ne peut en aucun cas être prise pour acquise.

Chute de l’Occident

Ces trente dernières années, nous, Occidentaux, avons cru être le centre du monde avec notre démocratie et notre modèle de marché ouvert. Notre économie tournait à plein régime. Nous étions forts militairement et nous avions une grande partie des cartes en main pour fixer les règles du jeu. Après l’effondrement de l’Union soviétique, l’Occident est devenu la puissance mondiale dominante. Aujourd’hui, nous sommes une espèce en voie de disparition. L’Occident avait le pouvoir, mais manquait de sagesse pour maintenir la cohésion sociale, exploiter les richesses du passé afin de construire un avenir économique solide et utiliser son pouvoir à bon escient à l’échelle mondiale. La période de pouvoir en Occident n’est désormais plus qu’un lointain souvenir. L’ère de la mondialisation touche à sa fin. Les régimes autoritaires et les dictatures refont surface. Le monde se fragmente à nouveau. De multiples acteurs rivalisent pour accéder au pouvoir. Le nationalisme gagne de plus en plus de terrain.

Ce brasier alimenté par plusieurs sources est le moteur de ce bouleversement. Une situation trop complexe pour en étudier chaque facette. C’est pourquoi je ne m’attarderai que sur certaines d’entre elles.

Guerre en Ukraine

Les évènements qui se déroulent en Ukraine sont un petit miracle. Les Ukrainiens résistent avec ténacité. Ils parviennent à former des fronts avec peu de moyens et à repousser les Russes. Une prestation particulièrement impressionnante. Nous avons sous-estimé leur volonté de se battre pour leur pays. Poutine est coincé tant sur le plan matériel qu’en termes d’effectifs militaires.

À quoi s’attendre dans un futur proche ? Trois scénarios sont possibles. La désescalade, voire l’arrêt du conflit. Mais la plupart des analystes estiment que cette issue ne surviendra pas dans les prochains mois. Les deux camps espèrent encore optimiser leur position sur le terrain. Les combats se poursuivront tout au long de l’hiver. Par ailleurs, l’escalade verticale peut se traduire de deux manières : l’utilisation d’armes nucléaires ou la démoralisation et l’épuisement. La menace des armes nucléaires est actuellement moins pressante. Certainement parce que la Chine a bien fait comprendre à la Russie qu’elle ne le lui pardonnerait pas. Le scénario de la démoralisation et de l’épuisement reste le plus probable. Poutine entend utiliser l’hiver comme une arme de guerre. Il chasse les Ukrainiens dans le froid. Le nouvel exode de réfugiés qui se dirige vers l’Europe de l’Est contraindra les Européens à pousser le dialogue avec Moscou. Plus vite que prévu. La Russie, quant à elle, continuera de perturber les marchés de l’énergie, de planifier des cyberattaques et de désinformer. Elle n’atteindra pas ses objectifs initiaux, mais le Kremlin saura trouver les moyens de fortement déstabiliser le monde. Pour nous, les retombées économiques seront les plus lourdes. Certes, nous parviendrons à remonter la pente à long terme, mais cela nous coûtera du temps et surtout beaucoup d’argent.

Guerre froide 2.0

Le conflit en Ukraine est le signe annonciateur d’importants changements de pouvoir. Je pense notamment aux États-Unis et à la Chine. Quel regard l’Empire chinois porte-t-il sur le conflit russo-ukrainien ? Un influent professeur chinois l’a formulé de cette façon : “Si nous entrons en guerre contre Taïwan, nous devrons pouvoir accéder aux oléoducs et aux chemins de fer russes. En effet, les Américains peuvent difficilement les atteindre. Nous devons également rester en mesure d’effectuer des transactions dans différentes devises. Si nous tournons le dos à la Russie maintenant, elle nous le fera payer dans un avenir lointain.” Voilà pourquoi la Chine tient tant à conserver ses liens avec la Russie. Elle se prépare à une confrontation majeure avec les États-Unis dans le Pacifique. Les Américains y occupent une position toute-puissante avec leurs porte-avions et leurs sous-marins. La Chine souhaite y mettre un terme et reprendre le contrôle de la région. Et Taïwan en fait les frais. L’Histoire mondiale nous apprend que les transitions de pouvoir ne se déroulent jamais dans la paix. Cette fois ne fera pas exception.

Modèles de croissance en mutation

Contrairement au travail, le capital et la technologie alimentent de plus en plus la croissance économique. Des économistes tels que Thomas Piketty partagent cet avis. Le phénomène “winner takes it all” se produit dans certains pays. Des milliardaires paient quelques millions pour vivre une poignée de secondes en apesanteur dans l’espace, alors que leur pays est incapable d’assurer l’établissement rudimentaire de systèmes de transport ferroviaire et d’éducation. Ce phénomène entraîne des tensions entre les différents groupes de revenus. Les conséquences de cette croissance moins gourmande en termes d’emploi sont majeures tant à l’Ouest qu’au Sud. En Inde, par exemple, la croissance économique s’élève à 9 %. Le pays connaît une évolution rapide, mais le nombre de nouveaux emplois créés est presque nul. Il en va de même pour l’Afrique, où vivent désormais 1,5 milliard de personnes. D’ici la fin du siècle, le continent devrait compter trois milliards d’habitants supplémentaires. Une augmentation démographique sans précédent tandis que la croissance économique ne nécessite, elle, que peu de main-d’œuvre. L’industrie manufacturière est pratiquement absente en Afrique. Alors, que faire d’un continent de près de 4 milliards d’habitants ? S’ensuivent une énorme instabilité, des violences et des flux migratoires.

Pas moins de 500 000 migrants ou chercheurs d’asile africains atteignent les côtes de l’Europe chaque année. 130 millions d’Africains aimeraient venir y vivre et 12 millions ont l’intention de sauter le pas. C’est tout à fait compréhensible de leur point de vue.

Le monde s’embrase un peu partout. À l’Est, on constate une vaste zone de tension entre une Chine montante et une Amérique menacée. À l’Ouest, la croissance démographique en Afrique génère des crispations. Quant à l’Europe, elle connaît une insécurité grandissante. Les Européens veulent se protéger contre la vague de migration massive qui se profile, au grand dam des chercheurs de gloire africains.

Je crains que tous ces paramètres ne finissent par s’enflammer. Le monde de demain se caractérisera par des tensions entre et au sein des États. De notre point de vue et de notre expérience, c’est presque irréel. Pendant trois décennies, nous avons émis l’espoir que tout s’améliorerait et deviendrait plus juste. Le contraste n’en est que plus décevant aujourd’hui.

Réorienter sa boussole

Notre pays affrontera cette ère tumultueuse avec difficulté. Même si, en tant que citoyens, nous avons connu des périodes fastes en termes de consommation au cours des trente dernières années, nous ne pouvons pas fermer les yeux sur certains constats préoccupants.

L’évolution de notre productivité n’est pas impressionnante. Notre dette publique ne cesse de croître et notre balance commerciale présente des déficits de plus en plus importants. La Belgique a longtemps été une économie excédentaire, mais connaît actuellement des pénuries structurelles qui ne cessent de s’accentuer. Un exemple : nous fermons les centrales nucléaires et devons importer de l’énergie. Cela implique un coût supplémentaire d’un à trois milliards, en fonction de la manière et de l’endroit où nous nous fournissons. En conséquence, notre position d’investissement à l’étranger évolue négativement.

Que faire dans une telle situation ? Je pense que notre pays doit absolument se rendre plus efficace. Nous devons aspirer à plus de professionnalisme et à une répartition plus claire des compétences aussi bien dans nos politiques économique et diplomatique que sur le plan militaire.

Nous devons renforcer notre résilience, qui dépend surtout de notre capacité à nous relever en tant que société. Nous devons nous armer contre de nombreuses menaces, mais rappelons-nous tout d’abord des valeurs qui cimentent notre société et que nous défendons. Ce n’est pas toujours le cas aujourd’hui.

Nous vivons des moments difficiles. Des moments d’agitation dans lesquels il est important d’orienter sa boussole. Si nous vaguons de crise en crise, nous ne survivrons pas très longtemps. C’est épuisant. L’important est de connaître notre destination. Quels sont nos objectifs ? Par ailleurs, il faut parvenir à rallier les citoyens à cette cause. Tenter de renforcer les rangs de notre société.

Nous pouvons céder au catastrophisme et être défaitistes. Mais cette crise nous offre l’opportunité de changer notre vision et d’espérer faire mieux. Nous devons aux générations futures de faire de ce défi une opportunité. Si nous ne le faisons pas, nous condamnons nos enfants et petits-enfants à subir des dépendances qui pourraient s’avérer douloureuses. »

Garder la tête haute dans le monde actuel

Comment rendre notre pays résilient face à un monde turbulent ?

1. Misez sur la ténacité

Jonathan Holslag : « Faire preuve de résilience est essentiel pour rester à flot dans ce monde agité. Dans notre pays, nous devrions investir dans notre patrimoine industriel. Nous ne renforçons pas suffisamment notre industrie manufacturière. Une tendance inquiétante puisqu’elle est l’un des grands piliers du bien-être économique. »

2. Investissez dans l'entrepreneuriat positif

Jonathan Holslag : « Nous devons tous nous efforcer de créer une génération d’entrepreneurs qui veulent exceller dans leur domaine. Des entrepreneurs dont l’objectif ne se résume pas à combler un simple besoin économique, mais qui sont disposés à œuvrer pour la sécurité, l’humanité et l’identité. Chaque entrepreneur doit contribuer à la construction d’une société plus forte. Humanité, justice, générosité et esprit public. L’économiste écossais Adam Smith, aujourd’hui encore connu comme le “père de l’économie moderne”, y voyait déjà le fondement d’un marché fonctionnel au 18e siècle. »

3. Restez cohérent

Jonathan Holslag : « Nous aspirons tous à vivre une vie agréable dans un environnement durable. Mais nous soutenons tout de même des entreprises qui délocalisent les activités économiques de notre pays. Souvent, il s’agit de sociétés qui enrichissent des pays autoritaires. Si nous voulons défendre la dignité humaine, nous devons rester cohérents, et examiner d’un œil critique la manière dont nous donnons du pouvoir à certains acteurs.

Nous aimons les villes accueillantes où s’alignent les belles boutiques. Il est important d’y dépenser notre argent si nous voulons les préserver. Nous assistons actuellement à la situation inverse. Je n’ai rien contre le commerce en ligne. Mais si cette pratique devient la norme, nos villes accueillantes et leurs belles échoppes disparaîtront. »

4. Pérennisez notre enseignement

Jonathan Holslag : « Nous devons préparer nos enfants à construire, à développer et à travailler dans les usines de demain. Mais il est tout aussi important d’en faire des citoyens contributeurs d’une société forte. Nous leur enseignons à gagner de l’argent, mais nous devons aussi absolument leur apprendre à l’investir de façon constructive. Et leur donner les clés d’une société plus résiliente. »

Barbara Claeys
Barbara Claeys

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