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Depuis combien de temps cette guerre des talents fait-elle rage ?

Eveline Schollaert : « Depuis des années déjà. Plusieurs domaines d’activités souffrent d’une pénurie de certains types de profils depuis longtemps. Entre autres, l’informatique, l’enseignement et les soins de santé. Certains secteurs se dirigeaient déjà vers une crise majeure avant l’arrivée de la pandémie de coronavirus. La crise sanitaire a tout mis sur pause, en ce compris la recherche de profils attrayants. Cette trêve n’a été que de courte durée et la situation est désormais pire que jamais. J’ai l’impression que plus aucun secteur n’y échappe. Lors d’une interview, j’ai appris que le secteur du bâtiment rencontrait également de grandes difficultés. Le dirigeant d’une entreprise de transport m’a également confié ne plus trouver de chauffeurs poids lourds. Pour le moment, il se contente d’engager des personnes avec qui le courant passe bien et qui n’obtiennent leur diplôme qu’une fois entrés en service. La guerre des talents s’est généralisée sur le marché du travail. »

Quelles en sont les causes principales ?

Marthe Rys : « Elles sont multiples. Le vieillissement de la population en fait incontestablement partie. Dans notre pays, le nombre de travailleurs qui prennent leur pension dépasse chaque année celui des nouveaux arrivants sur le marché du travail. L’âge effectif de la pension, qui est assez bas, est un autre paramètre à prendre en compte. En comparaison avec d’autres pays européens, la carrière active des Belges est courte. Avec une carrière moyenne de 32 ans et un âge effectif moyen de départ à la pension de 61 ans, nous nous plaçons en queue du peloton.

La volatilité professionnelle est une cause supplémentaire. Alors qu’il était autrefois monnaie courante de travailler pour un même employeur tout au long de sa vie, la situation est foncièrement différente de nos jours. Nous constatons que les travailleurs passent plus facilement d’un emploi à un autre, surtout au sein des générations plus jeunes. »

Eveline Schollaert : « Notons aussi que les travailleurs placent la barre plus haut. Ils se contentaient autrefois d’un emploi stable et bien payé. Avoir du temps pour soi était agréable, mais n’était pas une nécessité. Aujourd’hui, ils recherchent un emploi qui leur offre suffisamment de flexibilité et de temps libre. Par ailleurs, la quête de sens fait désormais partie de leurs priorités. Le phénomène, baptisé “The Great Resignation”, se constate depuis quelque temps déjà aux États-Unis.

De plus en plus de travailleurs démissionnent et se mettent à la recherche d’un emploi qui leur fait sens. Ils rêvent d’exercer un métier qui réponde à leurs aspirations et leur permette de contribuer à la société.

Enfin, la numérisation a créé un tas de nouveaux emplois. L’évolution rapide des technologies et de la numérisation modifie continuellement les connaissances requises. Sur base de leurs compétences actuelles, de nombreux profils n’entrent plus en ligne de compte pour des emplois vacants. Ces postes restent dès lors trop longtemps à pourvoir. »

En tant qu’employeur, comment gagner cette guerre des talents ?

Eveline Schollaert : « Si vous souhaitez recruter de nouveaux collaborateurs et les retenir au sein de votre entreprise, vous devez vous différencier. Cela ne passe pas forcément par la révision de votre offre d’avantages. Il est avant tout important de déterminer votre proposition de valeur pour les employés (PVE). Que représente votre entreprise ? Comment peut-elle se démarquer d’un concurrent qui cherche à attirer les mêmes types de profils ? Il existe de nombreuses façons d’y parvenir. En vous positionnant sur le marché en tant qu’entreprise créative et innovante, en soulignant ses actions en matière de durabilité ou en démontrant que vos employés contribuent à son orientation. Faites en sorte que votre société apparaisse comme authentique et précieuse aux yeux du public et donc du marché du travail. »

Marthe Rys : « Laissez vivre cette proposition de valeur pour les employés. Une bonne marque employeur est avant tout véhiculée par vos propres collaborateurs. Ils sont vos meilleurs ambassadeurs sur le marché du travail. Impliquez-les dans vos recherches. Laissez-les témoigner de façon originale de leur vécu au sein de votre entreprise. Emmenez-les au salon de l’emploi. Nous savons d’expérience que les travailleurs attirent souvent les meilleurs candidats. Ils reflètent spontanément une bonne image de l’entreprise. Le niveau des candidatures n’en sera que plus élevé puisqu’une sélection naturelle aura déjà eu lieu. »

Eveline Schollaert : « Déterminez les valeurs de votre entreprise avec vos employés. Agissez en conséquence et tenez vos promesses. Les gens aspirent à se sentir bien dans leur peau et donc aussi au travail. Si vous parvenez à le refléter, vous ferez un pas dans la bonne direction. »

Recruter de nouveaux collaborateurs est une chose, mais comment retenir les perles rares ?

Eveline Schollaert : « Dans un contexte de marché du travail en surchauffe, les entreprises doivent investir dans leurs travailleurs et leur permettre de poursuivre leur développement. Il est crucial d’être orienté vers le futur. Misez sur le développement de vos collaborateurs. Veillez à ce qu’ils puissent continuer de fonctionner dans ce marché du travail en proie aux changements. Proposez-leur des formations ou des séances de coaching pour qu’ils acquièrent des compétences devenues essentielles telles que la résolution de problèmes, la pensée critique, le digital, la communication et la collaboration. »

Marthe Rys : « Oubliez les entretiens qui pointent du doigt les erreurs que le travailleur a pu commettre et qui évaluent ses performances. Remplacez-les par des discussions axées sur son développement. Examinez ses attentes et ses ambitions à long terme et élaborez un trajet de développement ensemble. Les responsables directs sont les garants de cette évolution. Considérez chaque employé comme une personne à part entière. Ne mettez pas tous vos collaborateurs dans le même sac. Adoptez une approche positive et humaine. »

Combien de temps cette guerre des talents persistera-t-elle ?

Eveline Schollaert : « Le manque de personnel sur le marché du travail perdurera quelque temps et la problématique du vieillissement de la population se maintiendra au moins jusqu’en 2035. Mais la crise économique atténuera peut-être cette tendance. Par nécessité, les entreprises reverront leurs recrutements à la baisse. Toutefois, en ces temps difficiles, il reste important d’attirer les bons profils et de retenir les perles rares. Par ailleurs, développer sa marque employeur demeure essentiel. Chaque entreprise doit continuer à prôner ses valeurs avec honnêteté. Ce principe ne peut jamais disparaître. »

Barbara Claeys
Barbara Claeys

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