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Le réseau flamand d’organisations de soins de santé Zorgnet-Icuro a récemment chiffré l’augmentation des coûts énergétiques encourus par l’ensemble des hôpitaux flamands en 2022 à un demi-milliard d’euros par rapport à 2019, la dernière année « normale » qu’a connu le secteur. Les coûts annuels des services essentiels tels que l’alimentation ou les services de blanchisserie ont également augmenté de 10 à 15 %. Idem pour les frais de personnel qui ont augmenté de 10 %. En tant que CEO d’un grand hôpital, il en faudrait moins pour ne pas fermer l’œil de la nuit. « Et malgré tout, je m’efforce de ne pas en perdre le sommeil, réagit Marc Noppen avec détermination. « Ce ne serait pas sain. Mais soyons réalistes, il ne s’agit pas d’une bonne nouvelle pour nous. Notre facture énergétique a doublé cette année. Et on s’attend à la même chose l’année prochaine. Une facture multipliée par quatre donc. Je ne peux pas nier que c’est très compliqué. »

Comment un hôpital peut-il absorber une telle hausse des coûts ? Baisser le thermostat de quelques degrés ne peut quand même pas être la solution.

Marc Noppen : « Eh bien, figurez-vous que si. Nous allons aussi réduire d’un degré la température dans nos locaux. Évidemment, c’est plus facile à dire qu’à faire. Notre hôpital a été construit dans les années 70 et aujourd’hui le bâtiment manque clairement de cohérence au niveau énergétique. Mais nous tentons, avec notre personnel, au moyen d’actions concrètes, de réduire la consommation d’énergie. Comme nous le faisons tous à la maison. Éteindre les lumières, débrancher son ordinateur portable, baisser le chauffage quand on n’est pas là, ne pas allumer le chauffage et la climatisation en même temps, ne pas ouvrir les fenêtres trop longtemps lorsqu’on aère… Bref, nous insistons surtout sur la prise de conscience individuelle.

D’autre part, nous produisons de l’énergie de manière autonome depuis longtemps déjà. Nous produisons 12 % de notre électricité grâce à nos propres panneaux solaires. Nous misons beaucoup sur la cogénération, qui consiste à produire de la chaleur et de l’électricité à l’aide d’un moteur à carburant unique. En somme, nous produisons nous-mêmes plus de la moitié de notre énergie. En ce qui concerne le gaz, nous faisons partie d’une centrale d’achat d’énergie, comme la plupart des hôpitaux belges. De ce fait, nous bénéficions d’économies d’échelle qui nous permettent de négocier de meilleurs prix et conditions, mais bien sûr, les décisions d’achat ne sont jamais prises au moment idéal… Tout cela ne change rien au fait que nous risquons d’être confrontés à un manque de liquidités l’année prochaine. »

Cela signifie-t-il qu’une visite à l’hôpital deviendra également plus coûteuse ?

Marc Noppen : « Nous sommes un secteur qui ne peut pas légalement répercuter l’augmentation des coûts d’exploitation sur le patient. Le gouvernement s’en charge indirectement pour nous en indexant les honoraires et en ajustant le Budget des Moyens Financiers. Toutefois, cela ne compense jamais totalement et en temps réel les coûts élevés. Les frais de personnel ont déjà augmenté de 10 %. Nous continuons à chercher des solutions pour absorber cela. Mais ce n’est vraiment pas évident. »

 

Nous traversons actuellement une crise énergétique, ce qui pourrait nous faire perdre de vue le virus du corona. Et pourtant, ce virus reste une réalité de tous les jours pour vous. Dans quelle mesure cette huitième vague pèsera-t-elle sur l’hôpital ?

Marc Noppen : « Il s’agit d’un variant Omicron dont la morbidité est bien inférieure, mais qui est en même temps plus contagieux. En outre, le statut immunitaire de la population a également évolué. Nous avons été vaccinés en masse et de nombreuses personnes ont été infectées une à deux fois. Le contexte est différent, mais l’impact est toujours là. Nous avons actuellement 40 patients atteints du covid. Le huitième pic semble avoir été atteint. La moitié a été admise à cause du covid, et l’autre moitié pour une autre raison, mais avec le covid. Nous devons continuer à traiter ces personnes avec prudence. Aussi pour protéger notre personnel.

Qu’en est-il des réserves de votre personnel ? A-t-il suffisamment pu faire le plein d’énergie avant d’affronter l’hiver ?

Marc Noppen : S’il y a bien une chose qui me tient en éveil, ce sont nos employés et le choc mental de toutes ces vagues corona qui se sont succédé. Presque trois ans se sont écoulés depuis la première vague. Le covid en soi cause peut-être moins de stress, mais nous avons tellement de retard à rattraper. Les admissions non-covid urgentes qui avaient été reportées ont fini par arriver en masse. L’été dernier a été l’occasion pour beaucoup de nos employés de prendre une pause prolongée. Nos employés en ont clairement profité pour prendre leurs heures supplémentaires et leurs jours de congés. Et heureusement. Quant à la question de savoir si les batteries sont à présent suffisamment rechargées. Je ne sais pas.

Nous ne constatons pas beaucoup d’absences, de rotation ou de départ pour le moment. C’est un aspect auquel nous sommes d’ailleurs très attentifs. Au cours de la crise du corona, nous avons lancé un programme de valorisation pour les employés. Care4me. Chaque semaine, l’une ou l’autre activité est organisée. Parfois très petites, mais toujours en signe de remerciement et d’appréciation pour les énormes efforts de nos collègues. Nous proposons également du soutien, avec une équipe d’experts spécialisés dans la résilience, le stress et le burn-out. Nous devons chérir nos collaborateurs. C’est eux qui accomplissent le travail après tout.

Le personnel reste ma plus grande préoccupation. Y compris, les postes vacants qui ne sont pas remplis. Il y a plus de personnes qui prennent leur pension que de personnes qui quittent l’école. Cela fait dix ans que je le dis. Mais c’est seulement maintenant que l’on commence à s’en rendre compte. Que nous reste-t-il à faire maintenant ? Importer des travailleurs ? Rappeler des gens de leur pension ? Ce ne sont évidemment pas des solutions miracles. Mais une chose est sûre, il faut faire quelque chose. »

Chaque crise offre des opportunités, dit-on. Nous en tirons en effet tous des leçons. Est-ce que ça a été le cas aussi pour vous en tant qu’établissement hospitalier ?

Marc Noppen : « Sans aucun doute. Le meilleur exemple est l’accélération numérique. Tout à coup, toutes sortes de choses qui n’étaient pas possibles ou permises auparavant le deviennent. Nous sommes passés de 0 à 2000 téléconsultations par jour en très peu de temps. Nous sommes passés de 100 personnes travaillant régulièrement à domicile à 1 200. Le monde numérique nous a sauvés à bien des égards.

Aujourd’hui, nous en sommes toujours à une moyenne de 400 à 500 personnes qui font du télétravail dit intelligent. Il s’agit principalement de services de soutien. Du personnel qui n’a pas besoin d’être au chevet du patient. Nous organisons encore plusieurs centaines de téléconsultations par jour. Une solution parfaite pour certains patients. Ils ne doivent plus se déplacer. Cela permet en outre une réduction immédiate de notre empreinte carbone. Et les consultations peuvent être programmées et avoir lieu plus rapidement.

Nous avons également créé un tableau de bord interne. Nous disposons d’une énorme quantité de données. Nous avons centralisé ces données sur un grand tableau de bord. Cela nous a permis d’identifier beaucoup plus rapidement où se trouvaient les goulets d’étranglement. Où y avait-il des blocages ? Quel département a besoin de personnel supplémentaire ? Quel département pourrait avoir besoin d’un peu moins de personnel ? Ce tableau de bord nous a donné une vue d’ensemble et nous a également permis d’intervenir plus rapidement. Nous rêvions d’un tel système depuis un certain temps déjà. Nous avons visité plusieurs hôpitaux qui disposaient d’un tel prototype. Souvent c’était extrêmement coûteux. Nous avons donc fini par créer notre propre système. Tout ça grâce au covid. »

Le gouvernement a-t-il également tiré les leçons de la crise du corona ?

Marc Noppen : Cela reste l’une de mes grandes déceptions. Le manque de gestion efficace de la crise dont a fait preuve le gouvernement. Nous savons que le covid sera encore présent pour au moins 3 à 5 ans. Nous savons que cela provoquera un pic une ou deux fois par an. C’est dans cet état d’esprit, et selon la devise « Gouverner, c’est prévoir » que nous avons créé une sorte de feuille de route prenant en compte plusieurs dimensions. Le volet préhospitalier : comment pouvons-nous travailler avec les médecins généralistes et les infirmières à domicile pour que les personnes restent chez elles le plus longtemps possible ? L’aspect intrahospitalier : comment gérer ce qui se passe dans l’hôpital ? Et enfin, la dimension posthospitalière : comment faire en sorte que les personnes rentrent chez elles le plus rapidement possible ? Nous avons partagé cette feuille de route avec les hôpitaux de notre réseau. Elle a également été reprise et développée par Zorgnet Icuro avant d’être soumise au ministre, après quoi ça a été le silence.

Le corona n’est plus à l’ordre du jour de nos dirigeants politiques. Il n’est plus possible de capitaliser dessus et de marquer des points avec. Quiconque commence aujourd’hui à parler de covid est immédiatement qualifié de Cassandre. Et quelque part, c’est quelque chose que je comprends. La société en a assez du covid. Mais est-ce bien sage ? J’ai mes doutes. Par ailleurs, nous savons qu’un jour nous connaîtrons à nouveau une pandémie. L’histoire de l’humanité le montre.

Quoi qu’il en soit, cela ne nous freinera pas. Notre feuille de route est prête. Nous savons exactement ce qu’il faut faire, comme beaucoup d’autres hôpitaux. Je suis convaincu que le secteur s’est réinventé à cet égard. Mais malheureusement, cela n’a pas été le cas pour la classe politique.

Le covid n’était-il pas aussi le moment idéal pour examiner de près l’image globale du secteur des soins de santé ?

Marc Noppen : « J’avais en effet espéré que le covid puisse donner l’impulsion nécessaire pour lancer la réforme du secteur des soins de santé. La pandémie nous a permis de comprendre encore mieux où se trouve le problème. L’organisation de nos soins de santé « normaux » est insuffisamment préparée pour faire face aux défis du futur. Des réformes structurelles s’imposent plus que jamais C’est là aussi que le bât blesse. Je ne vois que trop peu ou pas de vision stratégique.

Le covid nous a tous pris de vitesse. Personne au monde n’était préparé à la première vague. Pas même notre gouvernement. C’est ce qui fait que beaucoup d’erreurs ont été commises pendant et juste après la première vague. Et c’est assez compréhensible ! Mais le fait que peu, voire aucune, leçon n’en ait été tirée me paraît incompréhensible.

L’Organisation mondiale de la Santé le dit d’ailleurs très bien : la règle numéro un en cas de crise est la rapidité. Même si votre décision s’avère ultérieurement ne pas être la meilleure, elle vaut mieux que de ne rien faire. Mais force est de constater qu’il est difficile de faire entendre cela à notre gouvernement. Ils s’en sont juste tenus à leur modèle de concertation, après concertation, et concertation. En temps de crise, vous avez besoin d’un leadership différent, plus directif. Nous avons perdu trop de vies à cause d’une structure basée sur la concertation permanente sans hiérarchie. Réagir rapidement à certains événements est en contradiction avec notre culture de concertation caractérisée par la lenteur. J’ai vu le comité de concertation se réunir pour discuter de la date du prochain comité de concertation. C’est quand même absurde !

La rapidité est primordiale dans toute crise. Le conflit en Ukraine, le terrorisme… Certaines choses sont parfaitement prévisibles. « Shit will happen. » Le tout est de savoir à quel moment. Nous sommes condamnés à vivre des pandémies et des catastrophes climatiques. Comment pouvons-nous nous y préparer ? Par des accords qui nous permettent d’agir rapidement et de manière décisive le moment venu. C’est aussi simple que cela.

Comment le covid a-t-il changé votre façon de diriger ? Comment le leadership du CEO d’un grand hôpital est-il impacté en temps de crise ?

Marc Noppen : Nous sommes passés très rapidement en mode crise et pour cela nous avons dû modifier la gouvernance de notre hôpital. En temps normal, il existe un conseil d’administration auquel le comité de direction rend compte. À partir de là, le fonctionnement opérationnel est défini. Pour prendre des décisions, nous devons passer par ce cercle de décision à chaque fois. Mais nous sommes passés presque immédiatement à un système de gouvernance par « procurations » pour prendre des décisions plus rapidement. Le comité de direction a été élargi à six spécialistes et a fini par constituer la cellule de crise. Cette cellule de crise a été déclarée le seul centre de décision de l’hôpital. Cela nous a permis d’éviter des initiatives parallèles.

Il a également été décidé que l’intranet serait la seule véritable source d’information. Toute information qui paraissait indépendamment du réseau de communication interne était automatiquement considérée comme non valable. Toutes les décisions et les chiffres discutés lors des réunions de crise ont été mis en ligne. La transparence était totale.

Unité de commandement, unité d’exécution, unité de communication. Ce n’est pas si difficile.

Le comité de direction était également présent sur le terrain tous les jours. Nous nous déplacions constamment et demandions à tous les employés que nous rencontrions comment ils allaient. Des nettoyeurs aux professeurs. Cet engagement actif était si important. Être authentiquement présent aide vraiment. Montrer à vos employés que vous les soutenez et que vous formez une équipe avec eux. »

Que peuvent apprendre nos entrepreneurs de votre approche lors de la crise ?

Marc Noppen : Je suis convaincu que de nombreuses entreprises ont également dû se réinventer par nécessité pendant la crise du covid. Mais en effet, nous étions sur la ligne de front, risquant littéralement nos vies. Nous nous souvenons tous très bien des images de l’Italie. Un virus inconnu et mortel nous tombait dessus. La peur ne doit pas être sous-estimée. Cela a demandé énormément d’efforts à nos employés. D’où l’importance que nous accordons à leur bien-être mental.

Je pense que les entreprises peuvent apprendre quelque chose de notre gestion de crise, mais certainement aussi de la résilience dont ont fait preuve nos collaborateurs. Leur engagement et leur solidarité. Je dis souvent que la pandémie de Covid-19 a été le meilleur team building qui soit. Le covid a fait en sorte que 4000 personnes se mettent à regarder dans la même direction. Et nous en voyons encore les effets positifs. Nous étions là. Nous y sommes arrivés ensemble.

C’est précisément pour cette raison que j’étais contre le concept de chômage technique dans notre hôpital. Nous aurions pu facilement mettre plusieurs centaines de personnes au chômage technique. Ça a été un choix conscient de ne pas le faire. Mon opinion était que nous devions nous en sortir en équipe. Pas avec une équipe de remplaçants qui attendent à la maison et le reste de l’équipe sur le terrain. Nous avons dû trouver de nouveaux rôles pour ces 1 000 personnes. À un moment donné, il n’y avait pas assez d’équipement de protection. Nous avons donc construit des ateliers où nos collaborateurs fabriquaient des masques, des bonnets et des vestes. Tout le monde est resté impliqué et a fait partie de l’équipe gagnante ».

Chaque crise est également riche d’enseignements sur la nature humaine. Qu’avez-vous appris sur ce plan ?

Marc Noppen : « J’ai appris que notre secteur ne fonctionne bien que grâce à la motivation intrinsèque. Lorsque nous avons assoupli toutes les règles et que des experts (infectiologues, intensivistes, urgentistes…) sont venus rejoindre notre comité de direction, nous nous sommes immédiatement dit : « C’est votre bataille. Dites-nous ce dont vous avez besoin, faites de votre mieux et allez-y. » Ces personnes ont pu se lancer à 100 % dans ce qu’elles savent faire. Elles disposaient de l’expertise nécessaire dans leur domaine (maîtrise). Elles ont eu la liberté d’apporter leur contribution (autonomie). Et elles avaient un objectif clair (nous devons nous sortir de cette situation). Les trois ingrédients clés de la motivation intrinsèque. Pendant cette période, personne n’est venu me demander une prime pour des heures supplémentaires prestées pendant le week-end. Ce n’est pas ce qui motivait nos employés. Tout est une question de motivation intrinsèque. Si vous parvenez à mettre cela en œuvre au sein d’un groupe de personnes, alors la bataille est déjà à moitié gagnée.

Le gouvernement a ensuite accordé à tous les travailleurs du secteur de la santé une prime corona de 500 euros. Un jour, j’ai reçu une délégation infirmière non-covid. Ils sont venus me demander s’ils pouvaient céder cette prime à des collègues qui étaient vraiment en première ligne. Il s’agissait d’une proposition totalement spontanée, aucunement imposée par qui que ce soit. C’est comme ça que ça doit être.

Eh oui, il y a aussi ceux qui ont excellé dans l’art de se cacher. Des leaders que je n’ai pas vus quand le stress était à son comble et que la pression devenait intenable. Des personnes qui se sont cachées jusqu’à ce que tout soit terminé. Mais il ne s’agit que d’une petite minorité. 90 % de nos collaborateurs ont tout donné. »

 

Quelle leçon personnelle tirez-vous de la crise du corona ?

Marc Noppen : « La confiance. Avec d’autres hôpitaux, j’ai demandé et obtenu la confiance pendant la crise du corona. Nous avons également donné de la confiance à nos collaborateurs. Vous ne pouvez obtenir la confiance que si vous la donnez. J’ai aussi appris que l’on prend de meilleures décisions en groupe que seul. Toujours. Engagez la discussion en groupe, ayez confiance et de grandes choses en ressortiront indubitablement. »

Barbara Claeys
Barbara Claeys

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