Koen Kas : « Je crois dur comme fer en un monde dans lequel nos petits-enfants ne seront plus jamais malades. Un monde dans lequel nous rémunérerons le fait de rester en bonne santé. Je me suis inspiré à cet égard de la Chine ancienne. Il y a 2 500 ans, il existait un système dans le cadre duquel les patients payaient leur médecin pour rester en bonne santé et non pour être soigné en cas de maladie. Et si quelqu’un tombait quand même malade ? Dans ce cas, ce patient ne devait plus payer son médecin. Cette forme de soins préventifs m’a immédiatement parlé. Je me demandais si nous pouvions relancer un tel système à l’aide des technologies numériques, de nouvelles idées de conception, de modèles d’entreprise et du bon sens.
J’ai suivi une formation d’oncologue moléculaire et j’ai pu collaborer avec une équipe fantastique pendant des années pour élucider la biologie de plusieurs cancers. J’ai contribué au développement d’un médicament pour traiter le cancer du cerveau chez les enfants. Lorsque j’ai découvert le système de santé dans la Chine ancienne il y a quinze ans, j’ai immédiatement été conquis. Est-ce que je voulais continuer à me concentrer sur le dernier stade de vie ou contribuer à un monde dans lequel nous ne mourons pas prématurément, mais aussi tard que possible ? Le choix a été vite fait. »
Jumeau numérique
Koen Kas : « Pourquoi le médecin chinois d’il y a 2 500 ans était-il un bon praticien ? La réponse est évidente : il vivait dans le village et observait tout le monde de près. Il était 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 parmi ses patients. Il remarquait ainsi rapidement lorsque l’un d’entre eux n’était pas comme d’habitude. Lorsqu’une personne était pâle ou déprimée. Le médecin le voyait et pouvait ainsi anticiper et rectifier le tir rapidement.
Mon médecin ne me voit que quelques minutes par consultation et tout au plus quelques heures par an. Il ne peut pas me joindre et ne sait rien de moi le reste du temps. D’où l’intérêt d’un jumeau numérique ou d’une version virtuelle de nous-mêmes qui sait tout de nous, sans intervention d’aucun autre tiers. Un système qui prend des mesures, donne des indications ou fait des suggestions à intervalles réguliers. Ainsi, notre médecin peut continuer d’assurer le suivi et reçoit un signal au besoin. Le médecin peut anticiper ce qui peut mal tourner grâce à notre jumeau numérique et par conséquent intervenir à temps. Nous évoluons vers un monde dans lequel chacun(e) aura un jumeau numérique qui nous aidera à rester en bonne santé. Un monde dans lequel nous capterons les signes avant-coureurs et détecterons chaque problème de santé avant l’apparition du premier symptôme. »
Conseiller génétique
Koen Kas : « Il y a deux ans, le footballeur danois Christian Eriksen s’est effondré pendant le Championnat d’Europe de football, car son cœur s’est soudainement arrêté de battre. Cela n’aurait pas dû arriver. Nous pouvons en effet parfaitement détecter les personnes prédestinées à ce trouble. Il est possible d’anticiper un tel problème grâce à un petit défibrillateur placé sur le cœur. Le défibrillateur se met en marche lorsque le cœur cesse de battre.
L’analyse génétique est cruciale dans ce cadre. Quels codes génétiques avons-nous reçus de nos parents ? Que révèle notre ADN ? Mais surtout, que pouvons-nous éviter grâce à l’analyse génétique ? Que pouvons-nous savoir à l’avance pour éviter certains évènements ? Beaucoup de choses.
Mais nous avons besoin de conseillers génétiques à cette fin. Cette profession gagne en importance. Ces praticiens nous donnent des informations sur les troubles héréditaires et leurs possibles conséquences. Ils sonderont chacun d’entre nous pour vérifier si nous voulons en savoir le plus possible sur notre patrimoine génétique ou juste ce sur quoi nous pouvons agir. Ou si nous préférons ne pas savoir. C’est également envisageable. Mais, en tout cas, ces conseillers ouvrent largement les perspectives de l’analyse génétique. »
Soins hybrides
Koen Kas : « Depuis quelque temps, il existe des enceintes intelligentes auxquelles nous pouvons donner des ordres oralement. À l’aide d’une telle enceinte, nous pouvons augmenter le chauffage, demander quelle est la température aujourd’hui à Barcelone ou qui était le deuxième président des États-Unis. Il vous suffit de demander à l’enceinte les informations que vous voulez chercher via Google.
J’ai offert une enceinte de ce genre à mon père pendant la crise du coronavirus. Elle pouvait lui rappeler à temps qu’il devait prendre ses médicaments. Il trouvait cela chouette, mais n’aimait pas la voix froide de Siri. J’ai donc fait des recherches et trouvé une technologie de la société américaine Lyredbird (désormais Decrupt) par laquelle l’ordinateur enregistre une voix pendant deux minutes afin de l’utiliser pour prononcer n’importe quel texte encodé. J’ai associé cette technologie avec l’enceinte, et désormais, mon père entend à cinq heures pile ma voix lui annonçant qu’il est l’heure de prendre ses médicaments. La technologie m’a rapproché de mon père.
Nous l’utiliserons de plus en plus à l’avenir dans les soins de santé. Nous nous renforcerons avec la technologie, sans perdre de vue la dimension humaine. »
Soins décentralisés
Koen Kas : « Dans notre monde numérisé, nous utilisons et partageons une énorme quantité de données. Comment le faire de la manière la plus sécurisée possible ? S’il s’agit de données relatives à la santé, il est essentiel d’agir avec prudence. Je suis ravi de souligner que la Belgique est le premier pays à lancer un nouveau type d’Internet. SOLID travaille avec des coffres-forts de données personnelles ou des POD dans lesquels sont sauvegardées les données les plus récentes d’un citoyen ou d’une entreprise. L’échange d’informations se passe via SOLID de manière aussi fluide que via le World Wide Web, mais il y a une différence de taille : le citoyen décide lui-même quelles données sont sauvegardées et qui peut utiliser quelles données. La personne est elle-même aux commandes. Nous utiliserons SOLID à l’avenir pour gérer de manière inédite les données de santé des citoyens.
Actuellement, les données de santé sont disponibles pour notre médecin ou à l’hôpital. Par le biais de ce système, nos soins de santé seront décentralisés. Imaginez : je suis allergique au gluten et je dois à chaque fois lire les petits caractères d’un produit au supermarché pour vérifier si je peux le consommer. Je pourrai décider à l’avenir d’en informer mon supermarché via mon POD. Le supermarché pourra ainsi faire en sorte que je ne puisse plus acheter 29 produits spécifiques. Je partage mes données, reçois une aide préventive en contrepartie et je vis par conséquent plus sainement. Les POD constituent la base de notre jumeau numérique. »
Machines empathiques
Koen Kas : « De nombreuses personnes sont convaincues que l’empathie est un trait uniquement humain. Je suis intimement convaincu que les machines peuvent également réagir avec empathie. Avec chaleur et humanité donc.
J’aime donner un exemple pour illustrer mon propos. Partout dans le monde, les gens veulent continuer à vivre chez eux le plus longtemps possible. Sauf au Japon. Là-bas, ils ne voient aucune objection à rendre leur dernier soupir à l’hôpital. Le Japon a la population la plus âgée du monde. Ces personnes ont par conséquent besoin de soins, mais il y a trop peu de personnel infirmier et de médecins pour s’y atteler. Le Japon est aussi le pays le plus robotisé du monde. Cela se remarque également dans les hôpitaux. Dans les hôpitaux japonais, il y a parfois par exemple un Robear qui circule. Il s’agit d’un robot qui a les traits d’un ours et qui accompagne les patients de leur lit à leur fauteuil roulant.
Le robot ours veille à ce que les patients plus âgés ne se sentent pas seuls à l’hôpital. “Ce n’est pas grave pour moi de mourir à l’hôpital, car je ne suis plus seul grâce à Robear”, entend-on souvent dans les hôpitaux japonais. La technologie peut être très empathique. Le robot ours fait office d’infirmier et de partenaire.
Nous évoluons vers une ère des machines empathiques comme nouveau moyen de traiter les gens avec empathie. Cela semble actuellement encore controversé et dystopique, mais nous ne pourrons bientôt plus y échapper. »
L’intelligence artificielle comme coach
Koen Kas : « L’intelligence artificielle fait son entrée dans nos vies. Pensez à ChatGPT ou au chatbot basé sur l’intelligence artificielle. Nous allons utiliser de plus en plus la technologie révolutionnaire de l’IA pour questionner et interpréter les données médicales et de santé.
L’intelligence artificielle permettra à un médecin d’être auprès de son patient 24 h sur 24 et 7 jours sur 7, par exemple via des objets personnels connectés comme une montre connectée ou un bracelet électronique. Il s’agira d’applications sur le corps qui envoient et reçoivent des données relatives à la santé de manière permanente.
Un médecin qui utilise l’IA ne sera pas remplacé par un robot. Au contraire : tous les nouveaux gadgets permettent au docteur d’être plus humain. Par exemple, Suki est un appareil permettant à votre médecin d’enregistrer votre conversation et de la traiter immédiatement dans votre dossier. L’avantage majeur ? Votre médecin ne doit plus taper ou écrire pendant qu’il vous parle. Il a plus de temps pour s’occuper vraiment de vous et vous écouter. Le médecin est donc plus humain grâce à la technologie. »
Formation en soins de santé
Koen Kas : « Si nous voulons recourir à l’intelligence artificielle comme coach personnel, nous devrons beaucoup investir dans la formation en soins de santé. Ce sera sans aucun doute la mission la plus importante. Nous pouvons imaginer un nouveau monde qui aura une certaine forme, mais si les individus qui doivent bâtir ce monde ne reçoivent pas la formation qui les y prépare, nous serons dans une impasse. »
Réalité virtuelle augmentée - le métavers
Koen Kas : « Cela reste un sujet controversé remis en question par de nombreuses personnes. Toutefois, je crois sincèrement dans le métavers ou un nouvel environnement numérique en trois dimensions - un monde immersif - dans lequel nous nous réunissons, travaillons et partageons des informations. Un monde accessible via la réalité virtuelle augmentée (RVA) et qui peut se superposer facilement au monde réel.
Les soins de santé ne pourront bientôt plus échapper à ce nouveau monde. Si vous annoncez à un patient qu’il a un cancer, vous pouvez en prendre l’initiative en tant que médecin. Mais dès que le mot “cancer” est prononcé, vous avez perdu le patient. Tout s’écroule. Le patient retourne chez lui et se pose mille et une questions. Il a besoin de temps pour assimiler toutes ces questions. Pour lui, mais aussi pour sa famille.
Qu’en serait-il si nous pouvions répondre à ces questions dès que le patient est prêt ? Et sans devoir prendre à nouveau rendez-vous avec le médecin ? Je suis persuadé que ce sera prochainement possible grâce à quelques personnes virtuelles semblables au docteur en question. Presque réelles. Le patient peut poser des questions à cette personne avec laquelle il est assis, comme il les pose à ChatGPT, mais dans un monde en 3D. Simplement grâce à des lunettes classiques avec une couche supplémentaire permettant d’amener ces personnes virtuelles en 3D devant le patient. Nous réunissons des personnes qui ne sont pas ensemble physiquement. Nous réinventons les interactions sociales. »
Delight Thinking
Koen Kas : « Que se passera-t-il si j’offre à mon meilleur ami un cadeau d’anniversaire qui se trouve sur sa liste de souhaits ? Il sera évidemment content. Et si je lui offrais une chose qu’il ne connaît pas ? Il sera sans nul doute encore plus content. Cela lui fera vivre un moment presque magique, car il recevra une chose qu’il ignorait que je pouvais lui offrir. Cela s’appelle le Delight Thinking.
Le Delight Thinking devrait être au cœur de la démarche dans les soins de santé. Mieux, chaque hôpital ou centre de soins devrait avoir un Chief Delight Officer. Le “Delight” devrait faire partie de l’ADN de chaque prestataire de soins. Les personnes qui vivent une telle expérience magique sont conquises. Ce sentiment agréable d’exaltation et de plaisir est essentiel pour ne plus jamais être malade.
Créez des expériences pour les patients qui s’apparentent à de la magie, et recherchez la technologie qui peut vous aider en la matière. Prendriez-vous les escaliers plus souvent si chaque marche jouait une note de musique ? Resteriez-vous plus aisément à l’ombre sur la plage si la réception wi-fi était meilleure à cet endroit ? Vraisemblablement. C’est mon principal conseil en matière de soins de santé. Grâce au Delight Thinking, vous pouvez encourager des changements de comportement nécessaires pour vivre votre vie plus sainement. »