Christian Van Osselaer : « Je suis avant tout un passionné de la vie et de la nature. Scientifique de formation, j’ai fait des études de bioingénieur, suivi d’un doctorat, à l’ULB. J’ai toujours adoré apprendre et relever des défis. Déjà plus jeune, je me demandais s’il n’était pas possible d’exploiter la nature de manière plus intelligente et plus durable. En tant qu’être humain, nous devons tous contribuer à l’amélioration de notre qualité de vie tout en contrôlant notre impact environnemental. Durant ma thèse, mon mentor à l’université m’a permis de rencontrer le CEO du groupe Floridienne. Ce dernier a souhaité me soutenir dans mes recherches et, par la suite, m’a convaincu de rejoindre le privé, alors que je me voyais plutôt continuer dans une carrière académique. Je pense qu’il a vu en moi certaines qualités que je ne connaissais pas encore à l’époque, notamment le sens des affaires et l’entrepreneuriat. En 2008, grâce à la Floridienne, nous avons créé Biofirst, un premier holding vert, dont un des plus beaux succès s’appelle Biobest.
En 2021, j’ai quitté ce groupe florissant pour démarrer mon propre holding, basé lui aussi sur les produits naturels, avec un axe sociétal et environnemental plus développé. Avec Dimitri Moreels, nous avons fondé et dirigeons aujourd’hui Envirium, un holding industriel belge vert qui se concentre sur la production, l’approvisionnement, la transformation et la commercialisation de produits naturels pour différents secteurs que sont l’industrie agroalimentaire, les cosmétiques et les soins de santé. Trois marchés assez différents alimentés par sept filiales dans quatre pays : la Belgique, la République Démocratique du Congo, Madagascar et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Nous produisons du café, du cacao, des graines de chia, de l’écorce de quinquina (pour le tonic du gin tonic, mais aussi pour des médicaments anti-malaria), des produits bruts enzymatiques à partir de latex de fruits, de la vanille, du poivre vert, du sucre, quelques plantes médicinales, de l’ananas et des lychees ‘fair trade’ et bio.
Notre business model est de travailler avec des petites structures agricoles locales avec un axe de protection de la biodiversité qui est au cœur de notre activité. Aujourd’hui, nous collaborons avec plus de 30 000 familles à travers nos différents projets. Les zones protégées, tels que les parcs naturels par exemple, sont riches en biodiversité et donc extrêmement importantes pour la planète. Par contre, les populations avoisinantes ne voient pas toujours positivement ces projets de conservation, qui les privent de certaines ressources ou revenus, puisqu’elles ont l’interdiction de chasser, de cultiver ou de couper du bois. Ces zones naturelles protégées peuvent être perçues comme une contribution négative de leur qualité de vie. Nous avons donc la motivation de développer des tissus économiques en bordure extérieure de zones protégées pour redonner du travail, de la fierté et des revenus à ces populations qui, en échangent, contribuent alors directement et indirectement à la protection de ces zones. »
Un business model différent
« Nous nous sommes associés à plusieurs parcs naturels dans le monde, dont le Parc National des Virunga en République Démocratique du Congo. Ce parc est la zone protégée la plus riche en biodiversité d’Afrique, abritant plus d’un millier d’espèces de mammifères, d’oiseaux, de reptiles et d’amphibiens, ainsi qu’un tiers des gorilles de montagne menacés d’extinction dans le monde. Cette région est aussi malheureusement une zone de guerre depuis 20 ans. Le projet Virunga Chocolat est né d’un partenariat entre Envirium, le Parc des Virunga, une fondation suédoise et deux chocolatiers belges. C’est une chocolaterie qui utilise le cacao poussant aux alentours. Il est ensuite transformé, finalisé localement et vendu tant sur place qu’à l’export. Des volumes croissants sont exportés en Europe et bientôt aux États-Unis. Nous obtenons avant tout un très bon chocolat, avec des notes particulières d’agrumes et de fleurs. Le fait que tout soit local signifie que le transport et l’impact carbone de cette chocolaterie sont excellents, en sachant aussi qu’elle fonctionne à 100% avec de l’énergie renouvelable.
Cette chocolaterie est une entreprise sociale. Chaque année, le Parc des Virunga perd des gardes qui donnent leurs vies pour protéger sa biodiversité. Tous les bénéfices issus de la vente du chocolat sont d’abord reversés dans une caisse qui permet aux veuves de ces gardes de survivre. Quand nous ouvrons des postes, nous engageons aussi en priorité ces veuves si elles souhaitent rejoindre le projet. Ensuite, le reste des revenus et des profits retourne directement dans la protection du parc. Comme c’est une zone de guerre, avec très peu de visibilité sur le futur pour les jeunes de la région, nous avons remarqué que la création d’activités et la création d’emplois permettaient à ces jeunes de quitter les factions rebelles pour rejoindre différents projets et donc de trouver un travail fixe. En d’autres mots, de trouver un futur. C’est quelque chose que nous n’avions pas prévu mais qui offre une dimension supplémentaire au projet.
Nous avons développé la même idée de protection dans les autres pays où nous sommes présents. La Papouasie-Nouvelle-Guinée, par exemple, est la plus grande île tropicale du monde et elle contient la troisième plus grande forêt tropicale humide après l’Amazonie et le bassin du Congo. C’est un énorme centre d’endémisme biologique et de diversité naturelle. Nous avons travaillé avec les populations locales afin d’y développer la culture de la vanille. Cette activité a créé beaucoup plus de valeurs pour eux que la vente des licences d’exploitation minières ou forestières. Nous sommes fiers de pouvoir montrer qu’il y a moyen de créer plus de valeur à protéger l’environnement qu’à le détruire. Après un succès dans le développement commercial avec ces populations, elles ont accepté de demander la protection gouvernementale de leurs forêts, qui sont des forêts primaires, ce qui nous a permis de protéger 9000 hectares en 2022. Cette année, nous sommes en cours de protection de 150 000 hectares supplémentaires. Pour la première fois dans l’histoire du pays, des forestiers, qui étaient venus pour couper leurs arbres, ont pu être arrêtés grâce à cette protection gouvernementale que les populations venaient d’obtenir. Notre plus grande motivation, c’est de créer de la crédibilité autour de nos modèles. Nous sommes encore une petite structure, mais nous voulons prouver qu’il est possible d’agir différemment. »
Choisir l’avenir de notre planète
« Je pense qu’en tant qu’individu, nous avons tous et toutes la possibilité de jouer un rôle au niveau de la responsabilité sociétale et environnementale. Il ne faut pas attendre que cela vienne de quelqu’un d’autre ou d’ailleurs. Nous pouvons réussir si tout le monde prend conscience que chacun peut et doit faire quelque chose. Il n’y a pas de solutions simples ou faciles, mais la solution devra être collective. Nous avons la possibilité d’agir en tant qu’individu mais aussi en tant qu’entreprise privée. Plutôt qu’un conseil, je transmets aux autres indépendants une demande : initiez des projets dans les domaines de la responsabilité sociétale et de la durabilité, trouvez ce qui peut vous motiver et vous convenir et incluez ces programmes dans vos plans. Et, si possible, commencez à le faire tout de suite, si ce n’est pas encore fait.
Nous vivons une crise sans égale dans l’histoire de l’humanité dont nous n’entrevoyons aujourd’hui que trop peu les conséquences. Comme l’a dit Charles Darwin, ce ne sont pas les espèces les plus intelligentes ou les plus fortes qui survivent, mais celles qui s’adaptent le mieux au changement. Autour de nous, tout a changé : l’environnement, le climat, les rapports sociaux au sein de nos sociétés mais aussi les rapports nord-sud et sud-nord. Le changement est là et nous devons nous y adapter. Dans les dix prochaines années, nous allons vraiment choisir l’avenir de notre planète et donc le nôtre. Il serait dommage de ne pas continuer à œuvrer à une vie meilleure. N’oublions pas qu’en prenant soin de la planète, c’est de nous dont nous prenons soin.
Il ne faut pas alimenter inutilement notre stress à ce sujet. Il faut prendre conscience et agir. Nous avons à disposition des technologies, un savoir et des outils exceptionnels qui n’ont jamais existé auparavant. Toutes les générations doivent être impliquées dans cette démarche. Nous devons repenser nos modèles économiques, sociétaux et notre façon d’exploiter la nature. Je ne connais pas d’autre époque durant laquelle on a pu donner autant de sens à son existence et à son travail. Cela devrait être un facteur de motivation pour réussir ce grand défi. Avec Envirium, nous essayons de montrer quelques exemples et de créer de la crédibilité autour de nos activités. Personne n’est capable d’agir dans tous les domaines. Ce qui compte, c’est d’avancer chacun à son échelle et de contribuer à l’effort global. »