Entre phénomènes climatiques extrêmes et pics de chaleurs, l’été dernier a battu tous les records. Une réalité qui nous rappelle que nous ne pouvons plus nier l’évidence. Et pourtant, la guerre et les factures énergétiques nous feraient presque oublier l’urgence d’agir. La tentation de mettre de côté les objectifs climatiques et les plans de développement durable pour se concentrer sur d’autres préoccupations est grande. Pour des raisons financières, par exemple. Mais est-ce raisonnable ? Sans doute que non. Et encore moins en tant qu’entrepreneur. « Les entreprises qui font de la transition énergétique leur priorité aujourd’hui et non demain ont tout gagné », affirme Pieter Boussemaere. Ce professeur d’histoire et de climatologie est l’interlocuteur idéal pour évoquer l’impact des crises sur le climat.

Histoire et climatologie. D’où vient cette combinaison ?

Pieter Boussemaere : « Je suis historien de formation. La préhistoire est une période qui m’attire énormément. Et pour comprendre la naissance de l’humanité, il faut connaître les évolutions climatiques qui ont eu lieu au fil des siècles. Voilà pourquoi je m’intéresse également à la question climatique. J’enseigne l’évolution du climat au cours de l’histoire mondiale depuis maintenant six ans. Une matière passionnante. Je m’étonne toujours que les étudiants aient si peu de connaissances sur le réchauffement climatique. En réalité, bien comprendre l’impact actuel et futur de la crise énergétique sur notre planète est essentiel. »

Les changements climatiques sont-ils donc de tous les temps ?

Pieter Boussemaere : « Tout à fait. Mais les changements climatiques que nous connaissons aujourd’hui ne sont pas comparables aux autres. Ils ne sont pas naturels. Ils sont le résultat de l’activité humaine. Et leur évolution est sans précédent. Leur vitesse est dix fois plus élevée que le changement climatique naturel le plus rapide jamais enregistré dans le passé. Pour la première fois depuis 2,6 millions d’années, nous avons rompu les cycles de glaciation naturels. Nous devions nous diriger vers une nouvelle ère glaciaire. Sans la présence de l’Homme, la Terre aurait dû se refroidir légèrement au cours des deux derniers siècles. Au lieu de cela, nous assistons à une gigantesque hausse des températures. »

Où en sont nos connaissances en matière de climat ?

Pieter Boussemaere : « 75 % des Européens occidentaux sont pertinemment convaincus d’être incollables en matière de climat. Mais la plupart se trompent sur des questions de fond. Beaucoup d’idées reçues persistent. Encore trop de gens ont des perceptions totalement fausses. Et dans ce cas, il est impossible de prendre les bonnes décisions. C’est pourquoi je ne cesse de répéter l’importance d’enseigner les bases de la question climatique dans les écoles. Au travers de mots simples, nous armerions une génération entière pour relever les défis du futur. »

Quelles sont les plus grandes idées reçues ?

Pieter Boussemaere : « Le trou dans la couche d’ozone est provoqué par le réchauffement climatique. Or, ce sont deux problèmes foncièrement différents. La fonte des glaces fait monter le niveau de la mer. L’hydrogène est une source d’énergie renouvelable. Ou encore, le nucléaire nuit au climat. Heureusement, la première et la dernière de ces croyances sont en train de disparaître.

Beaucoup de gens pensent aussi, à tort, que l’impact climatique du transport maritime est énorme. Compenser le réchauffement climatique en plantant des arbres est aussi une idée surfaite. Et je pourrais vous donner un tas d’autres exemples. »

Parlons de la crise du coronavirus. Beaucoup sont convaincus que le confinement a eu un impact favorable sur le climat. Quel est votre avis sur la question ?

Pieter Boussemaere : « La crise sanitaire a provoqué la baisse des émissions de CO2 la plus forte depuis la Seconde Guerre Mondiale. Elle a avoisiné les 5 %. La crise financière de 2008 a, quant à elle, engendré une diminution de 1,4 %. Malheureusement, nous avons constaté que les crises ont systématiquement été suivies d’un rebond des émissions. En 2010, par exemple, celles-ci ont augmenté de 5,9 %. Chaque déclin est temporaire. Le scénario a été le même lors de la pandémie du coronavirus.

Je compare souvent l’accumulation de CO2 dans l’atmosphère à une réserve de bois. Depuis 150 ans, nous y empilons toutes sortes de buches, qui sont, en fait, les émissions carbone. Suite à la crise sanitaire qui a frappé le monde en 2020, nous avons ajouté non pas 100, mais 95 buches. Un accomplissement qui peut paraître extraordinaire, mais qui n’a pas empêché l’arrivée de centaines de nouveaux morceaux de bois en 2021 et en 2022. En fin de compte, la différence est quasiment invisible. Il ne reste pas moins un gigantesque amoncellement de bois qui ne fait que grandir.

Pour inverser la tendance, des changements structurels sont nécessaires. Ainsi, nous ajouterions moins de buches à notre réserve de bois et ralentirions sa croissance jusqu’en 2050.

Pour honorer les objectifs de l’Accord de Paris et maintenir le réchauffement sous la barre des 1,5 %, il faudrait une réduction de 7 % par an dans les dix prochaines années. Mission impossible, même si le monde entier se confinait chaque année. Autrement dit, les pandémies et les confinements ne sont pas la solution pour résoudre le problème du réchauffement. »

« Nous isolons nos maisons, les équipons de panneaux solaires et augmentons notre efficacité énergétique. Si nous ne voulons pas être dépendants des combustibles fossiles russes, nous n’avons pas d’autre choix. »

Pieter Boussemaere

Professeur d'histoire et de climatologie

Et la crise énergétique ? N’est-elle pas une problématique complètement différente ?

Pieter Boussemaere : « La crise énergétique continuera d’avoir un impact sur les émissions de dioxyde de carbone. À court terme, les retombées seront plutôt négatives puisque nous misons davantage sur des centrales au charbon pour remplacer les centrales au gaz. Par ailleurs, certains pays investissent à grande échelle dans le gaz naturel liquéfié. Les émissions de gaz à effet de serre augmenteront.

Mais à plus long terme, cette crise de l’énergie aura un effet positif sur les émissions européennes parce qu’elle accélère le déploiement des énergies renouvelables. À un tel point que la Commission européenne a annoncé le renforcement de ses objectifs climatiques pour 2030 de 2 %. L’objectif initial, qui était de diminuer les émissions carbone de 55 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990, a été porté à 57 %. Parce que nous rénovons tous nos maisons, les équipons de panneaux solaires et augmentons notre efficacité énergétique. Si nous ne voulons pas être dépendants des combustibles fossiles russes, nous n’avons pas d’autre choix. À l’heure où les énergies renouvelables deviennent de plus en plus compétitives face à la flambée des prix du gaz et du pétrole, les énergies éoliennes et solaires pourraient bien être la solution.

Aussi, la quête et la volonté d’investir dans des solutions énergétiques respectueuses de l’environnement réservent une place de choix à l’hydrogène vert, produit à partir d’énergie verte. Et ce, dans des pays qui bénéficient d’un grand taux d’ensoleillement et d’un haut potentiel éolien. De l’électricité et de l’hydrogène vert pourraient être produits à moindre prix. À moyen et à long terme, la crise énergétique sera sans doute bénéfique pour le climat, du moins en Europe. »

La crise nous pousse-t-elle à changer de comportement ?

Pieter Boussemaere : « Je le pense, oui. J’évite d’utiliser les termes ‘changement de comportement’ quand j’aborde le sujet. Je trouve que cette tournure a une connotation négative qui pourrait culpabiliser certains. Changer son comportement sous-entend de changer ses habitudes. De ne plus partir en vacances, par exemple. Ou d’arrêter de manger de la viande. Bref, de devoir mieux faire. Plus de règles et moins de liberté, voilà ce que pensent les gens. À tort. Parce qu’il ne s’agit pas de changer de comportement, mais de faire des choix différents. Et ce choix est simple : l’électricité. En passant d’une chaudière à gaz ou à mazout à une pompe à chaleur ou en optant pour une voiture électrique, par exemple. Comme je le conseille souvent aux entreprises, électrifiez le plus possible. »

Dans quelle mesure le monde entrepreneurial est-il ouvert à la transition énergétique ?

Pieter Boussemaere : « Nous assistons à de très belles choses. Selon moi, 2019 a été une année charnière. Mais commençons par l’Accord de Paris sur le climat en 2015. Pour les entreprises, les décisions qui en ont découlé ont été le premier signal clair d’un point de non-retour. En 2018, l’Europe a annoncé son objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Une fois de plus, l’urgence de la transition énergétique a été rappelée. Et puis en 2019, des milliers de jeunes se sont mobilisés pour le climat. Ils ont revendiqué une perspective d’avenir pour leur génération et les suivantes. Leur objectif : inscrire la crise climatique sur l’agenda mondial. La jeunesse militante a ramené le climat, un sujet tabou depuis longtemps, sur la table. Ils ont aussi contraint certains partis politiques qui n’étaient pas actifs en la matière à prendre position. L’élément déclencheur qui a poussé 95 % des chefs d’entreprises à changer leur optique. Depuis lors, je dois même freiner l’enthousiasme de certaines sociétés à s’engager en faveur de la transition énergétique. À certains niveaux, il est encore préférable d’attendre l’arrivée d’innovations. Toutes ces actions sont évidemment positives. »

En plus de vos cours, vous donnez aussi des conférences. Vous avez écrit différents ouvrages sur la problématique climatique. Votre ambition est d’encourager les gens à devenir acteurs de cette transition énergétique. Comment vous y prenez-vous ?

Pieter Boussemaere : « Je veux inciter les gens à agir en leur proposant des actions simples et qui ont du sens. Je ne crois pas aux longues listes de points d’amélioration. Elles sont contre-productives et suscitent l’irritation et le désintérêt. Si vous portez un message clair, vous augmenterez instantanément la volonté d’agir. Dans ma communication, j’essaie de ramener les gens à l’essentiel. C’est dans cette optique que j’ai écrit mon dernier livre intitulé « Tien klimaatacties die werken » (“Dix actions pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique”). J’y présente dix actions fondées sur la science qui fonctionnent vraiment. Le problème avec la question climatique, c’est que l’on distingue trop peu les points essentiels des questions secondaires. Les gens ont besoin d’informations claires pour passer à l’action. Certainement au sujet du climat. »

Dix actions pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique

1. Informez-vous
2. Sensibilisez votre entourage
3. Sensibilisez les autorités
4. Faites le bon choix en matière d’électricité
5. Utilisez l’électricité à bon escient
6. Choisissez le bon type de moteur
7. Voyagez malin
8. Isolez, isolez, isolez
9. Optez pour la bonne source de chaleur
10. Diminuez votre consommation de viande de bœuf et de veau
Barbara Claeys
Barbara Claeys

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